S’il vous plaît, dessine-moi une forêt

Article : S’il vous plaît, dessine-moi une forêt
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21 avril 2015

S’il vous plaît, dessine-moi une forêt

Il m’est apparu un jour, un jeudi je crois, à l’heure la plus caniculaire de cette journée d’avril. Entre 11 h 30 et midi. Le soleil était au zénith. J’avais quelques courses à faire, une petite heure à tuer entre deux rendez-vous et je me dirigeais vers l’entrée de Lakpahana, traversant Reid Avenue, en plein coeur de Colombo. Les bâtiments fraîchement rénovés du Race Course, à ma gauche, éclataient d’une blancheur aveuglante sous le soleil. Le ciment et les pierres des trottoirs semblaient prêts à se fissurer tant la chaleur aspirait chaque goutte de l’atmosphère. Le pas porté par ma détermination à trouver un abri ombragé au plus vite, j’avançais, terriblement ennuyée par un mal de tête tenace et prise dans mes pensées.

Je ne l’avais donc pas vu arriver. Il m’était soudain apparu, tel que je l’avais vu dans les livres, tel que vous le connaissez. Petit bonhomme aux boucles blondes, au regard vrai, insistant, interrogateur. Adossé au tronc d’un manguier. Surprise par cette apparition, je me suis arrêtée, évidemment. Le spectacle était rafraîchissant.

– S’il vous plaît, dessine-moi une forêt.

C’est ainsi qu’il m’a abordée et c’est ainsi que j’ai rencontré le Petit Prince.

– Une forêt ? Lui ai-je répondu, étonnée. Une forêt d’arbres ?

Parce que je pouvais bien lui dessiner une forêt, je ne voyais pas ce que ça changerait.

– Une forêt, oui. Avec des milliers d’arbres, m’a-t-il dit d’un air doux et rêveur. Avec des milliers d’animaux aussi, et des milliers d’insectes, et des milliers d’oiseaux, de papillons. Avec des fougères qui vous chatouillent les genoux et des cascades rafraîchissantes. Avec des rivières et des milliers de poissons qui dansent dans l’eau. Une forêt abreuvée de pluies et bruyante du chant des grenouilles et des oiseaux. Une forêt vibrante de vie…

La voix du Petit Prince était posée, claire et son rire résonne encore aujourd’hui dans ma mémoire. C’était notre première rencontre. Il avait ensuite disparu comme il était apparu, en un clin d’oeil. Et m’avait laissé plantée, là, sur ce trottoir brûlant de Reid Avenue.

Belipola, Mirihawatte, Sri Lanka
Belipola, Mirihawatte, Sri Lanka, Crédit Photo : EG

Cette première rencontre, bien que brève, fut déterminante dans ma vie. Disons que, depuis, tout a changé. Aussi étrange que cela puisse paraître, le désir exprimé par cet enfant – que je lui dessine une forêt – est devenu, de ce jour, ma priorité. Pourquoi l’ai-je écouté ? Pourquoi ai-je accordé autant d’importance à sa demande ? Je vais vous dire, franchement, que c’est d’abord et justement parce que c’était un enfant. Je savais bien qu’il ne s’agissait pas d’un caprice. Je savais que son regard suppliant, qui me poursuivait désormais, n’était motivé que par sa propre conviction d’enfant, que c’était ainsi que l’on pouvait sauver la planète. Et parce que moi aussi, je voulais faire l’expérience – au quotidien – de cette vie vibrante de jungle et de forêts tropicales rafraîchissantes et abreuvées de pluies. Même des mini-forêts, au coeur de Colombo, au coeur des villes.

La quête a commencé, depuis. Je rencontre des passionnés de forêts, des acteurs dans le domaine de l’environnement et du développement durable, des écologistes, des paysans bio, des professeurs d’université, chercheurs, protecteurs d’espèces en voie de disparition… Ils m’apprennent, chacun à leur façon à dessiner une forêt, une forêt où l’homme a sa place. Ils me disent que sur le dernier siècle, le Sri Lanka a perdu 95 % de sa forêt originelle. Et là je revois le regard triste du Petit Prince. D’abord ça a été la généralisation des plantations, durant les années de la colonisation. La découverte alors des richesses que pouvaient apporter les monocultures de thé, de caoutchouc, les rizières, les cocotiers, les forêts de sapins, d’eucalyptus. Puis le sol s’étant appauvri, on a eu recours aux engrais chimiques, aux pesticides. Vous connaissez la suite. De nombreuses variétés d’arbres, de plantes, indigènes au Sri Lanka, ont disparu. Des espèces animalières ont disparu. D’autres encore sont menacées.

Mais voilà, ces amis, dont je vous parle sont super actifs! Et depuis que je les connais, j’ai moi-même une bien meilleure idée de ce qu’est une forêt. Je suis nulle en dessin. Aussi, je ne saurais sans doute toujours pas dessiner une forêt. Alors, j’ai pris des photos. C’est tout aussi parlant qu’un dessin et j’espère que le Petit Prince ne m’en tiendra pas rigueur. J’ai pris ces photos à Belipola, site proche de Bandarawela, dans les montagnes sri lankaises, une forêt dite “analogue”, complètement replantée, sur les 35 dernières années par un scientifique de l’environnement convaincu de la nécessité de reconstituer les poumons du Sri Lanka. Et voilà ce que ça donne!

 

Merci à tous les amis du Petit Prince que j’ai rencontrés lors de cette quête.

Emmanuelle Gunaratne

P.S : Je vous conseille les visites des sites suivants : Belipola, Rainforest Rescue International, Sinharaja Forest

 

Terre aride il y a 35 ans, le site de Belipola, Mirihawatte, Sri Lanka, a donné le jour à une forêt tropicale d'une riche biodiversité
Terre aride il y a 35 ans, le site de Belipola, Mirihawatte, Sri Lanka, a donné le jour à une forêt tropicale d’une riche biodiversité. Crédit Photo : Emmanuelle Gunaratne

 

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Commentaires

fanchon
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Evidemment partagé ! Merci pour ce billet. Si vous voulez lire d'autres histoires de Petit Prince, invitez-vous sur Plan B. A M'hamid el Ghislane aujourd"hui, aux portes du Sahara, les associations éaient réunies pour continuer le combat contre l'avancée du désert, une lutte qui passe par la plantation.
https://dernierbaiser.mondoblog.org/2015/01/18/hospitalite-dialogue-belle-lecon-vie-nomades/

Emmanuelle Gunaratne
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Merci Fanchon.. Et oui, un combat sans fin.. sur tous les points du Globe. Merci pour les belles leçons de vie des artistes que tu nous envoies régulièrement dans Plan B!