Les deux faces d’une svastika

Article : Les deux faces d’une svastika
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25 mars 2015

Les deux faces d’une svastika

Ma fille vient d’avoir 7 ans. Elle a reçu, pour son anniversaire, un magnifique présent, de la part de son grand-père paternel, cinghalais : une svastika toute resplendissante, en or massif, montée en pendentif autour d’une chaîne.

Elle est fière de la porter, parce que son grand-père lui a dit que c’était une amulette, un porte-bonheur, que ce bijou devait lui porter chance, tous les jours de sa vie. Un symbole de bon augure, de bonne fortune. Bon présage, à l’âge de raison! Elle est fière aussi de la porter, car elle sent sur ses frêles épaules le poids symbolique de ce cadeau. Ce sont les économies d’une époque, fondues dans l’or et transformées en amulette. Son grand-père, un demi-siècle plus tôt, en avait commandé deux à un orfèvre. L’une pour sa femme et l’autre pour lui. Une seule lui restait. Et, c’est elle, sa petite-fille, la plus jeune, qu’il a choisie, pour hériter de cet objet historique, familial et qui plus est, protecteur. La voilà donc, elle, à 7 ans, qui s’inscrit dans l’histoire bouddhiste de la famille. Côté paternel.

La svastica, un symbole de bon augure, vieux comme le monde.
La svastika, un symbole de bon augure, vieux comme le monde. Ici, sur des cachets, de la civilisation de la vallée de l’Indus, préservés au British Museum.

Su-asti-ka, mot d’origine sanskrite : Su- le « bien », Asti-  « être ». Ka, juste un suffixe. Une magnifique svastika qui doit lui porter chance et bien-être. Voilà, là, c’était la jolie face, dorée, de la svastika.

Malheureusement, ce beau bijou, fort de tant de symboles sur cette terre lankaise, est destiné à n’en pas dépasser les frontières. Ma fille a un autre héritage, qu’elle ne connaît pas encore. Qu’elle connaîtra bientôt, enfin, un peu plus tard. Croix gammée, signe honni. Trop de souffrances pour son arrière-grand-mère maternelle, française. 1945. Ses deux jeunes frères résistants ne reviendront pas. L’histoire reste en pointillés. Sujet tabou dans la famille. Douleur immense, refoulée. Quelques bribes en resurgiront au détour de conversations. Mais généralement, cette histoire restera un grand silence. Côté maternel. Autre face, noire, de la svastika.

Alors, je contemple ma fille, si fière d’arborer ce bijou autour de son cou. Si innocemment. Et je pense à toi Mémé. C’est étrange, non? Cette ironie du sort. J’espère que tu souris quand même, de là-haut. Oui, c’est ton arrière-petite-fille, cette belle gamine avec la svastika autour du cou… Comme quoi, les symboles…

Après tout, n’est-ce-pas un pied de nez au nazisme que de voir cette petite fille mixte, eurindienne, porter ce qui a été défini un temps comme un symbole de la race aryenne « pure ». Quelques années qui auront corrompu à jamais le sens de ce symbole millénaire de bonne fortune.

Ma fille, en tous cas, n’en sait encore rien. Elle porte sa svastika, fièrement.

Et moi, je veillerai à ce que son amulette ne passe jamais les frontières du Sri Lanka, qu’elle reste pour elle une protection, un porte-bonheur. A jamais.

Emmanuelle Gunaratne

Là, c'est la jolie face, dorée, de la svastika.
Là, c’est la jolie face, dorée, de la svastika.
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Commentaires

TERRIEN Marie-Claude
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Beau et très émouvant pour nous.
Un trait d'union entre les deux cultures.
Je t'embrasse.