Sri Lanka, la lune pleure en ce soir de Vesak

Article : Sri Lanka, la lune pleure en ce soir de Vesak
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21 mai 2016

Sri Lanka, la lune pleure en ce soir de Vesak

Parce que c’est Vesak ce soir, la lune est ronde et belle et blanche. On la devine telle quelle. Cachée derrière de lourds nuages noirs. Elle éclaire peu ce soir. La ville reste sombre et morose. Pas de musique ni de pétards.

Parce que c’est Vesak ce soir, on attendait la fête. Déambuler dans les rues, s’arrêter aux « dansals »* et se laisser accoster par des jeunes devant leurs étals, et accepter un cornet de glace, un verre de pepsi. Reprendre la route, à pied, accompagnée des enfants béats, admirer les maisons et les jardins illuminés de couleurs gaies, les lampes de toutes formes construites diligemment par toute la famille réunie.

Parce que c’est Vesak, les rues devaient être bondées, joyeuses, bruyantes. Comme l’année dernière.

C’est Vesak. Les rues ne sont pas animées cette année. Bien sûr, les femmes ont revêtu leurs tenues blanches et pures et indiquent par cette écharpe de coton qu’elles observent « sil »** aujourd’hui. Elles rentrent du temple.

C’est Vesak – pleine lune de mai. On célèbre l’illumination de Siddharta qui sous son arbre Bô, médite et comprend, et devient ainsi le premier Bouddha. On célèbre le souvenir de sa naissance, transmis jusqu’à nous par des dessins de chérubin gracieux qui légèrement fait ses premiers pas  sur les fleurs de lotus, sous le regard bienveillant de sa mère et de la cour royale.

C’est Vesak et aujourd’hui la lune pleine éclaire sans doute la terre mais au Sri Lanka, elle fuit, derrière un voile nuageux et pleure encore. Elle pleure cette dernière semaine, le cyclone Roanu et les fleuves fous furieux, les pluies torrentielles, les flots de boue qui se sont déversés sur les villes et villages. Les disparus, oubliés, abandonnés, sans abris, déplacés.

Cyclone mai 2016, Sri Lanka
Cyclone mai 2016, Sri Lanka

Sirisena, notre électricien, se trouvait dans sa maison – toujours en construction – quand une pluie dévastatrice s’est déversée chez lui. Il habite près du fleuve Kelani. Il a eu le temps de transporter sur la terrasse au premier étage ses meubles, le frigo, quelques biens, et de quoi survivre, lui et sa famille 24h. Il a assisté avec effarement au spectacle dévastateur. L’ampleur des dégâts lui est apparue soudainement, à mesure que les planches de bois achetées pour ses portes et fenêtres disparaissaient avec les flots… Mais il ne pouvait rien, ni à cela, ni au reste. Témoin impuissant. Il lui fallait continuer à être patient. Attendre un bateau et des secours. Le lendemain. Prier pour que l’eau ne dépasse pas le premier étage. Veiller tour à tour. La situation ne s’est pas améliorée les jours suivants. Les pluies cycloniques ont continué et le fleuve ne s’est pas désempli, alimenté par les pluies des régions montagneuses. Sirisena et sa famille sont désormais hébergés chez des amis.

Des centaines de milliers de Sri Lankais sont ainsi déplacés.

La lune pleure aussi les centaines de villageois ensevelis, près de Kegalle, quand un pan de la montagne s’est effondré.

C’est Vesak pourtant. Un Vesak silencieux et endeuillé.

Emmanuelle Gunaratne

 

(*) Les dansals sont des stands qui s’installent le long des rues au moment de Vesak. Souvent financés par des particuliers ou des sociétés, ils organisent des offrandes pour les passants – boissons, repas, snacks. Les dansals contribuent à l’animation des rues et à une circulation intense! Les voitures s’arrêtent pour que les passagers aient leur cornet de glace à la vanille et n’hésitent pas à bloquer la circulation! Les gens font aussi la queue.

(**) Le jour de Vesak, certains Bouddhistes suivent ce programme religieux – « sil » – qui consiste en sermons, discussions et séances de méditation et prend place dans les temples.

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